Visual Studio est l’environnement de développement intégré proposé par Microsoft. Il gère une pléiade de langages, historiquement des langages natifs comme C++, mais aussi toute la pile .Net avec C#, VB.Net et d’autres, y compris pour le Web. Il est souvent cité en référence comme environnement de développement. À l’origine payant, les éditions Express sont apparues en 2005 ; nettement moins limitées, les éditions Community sont beaucoup plus récentes.
Cependant, l’environnement est aussi connu pour ne pas toujours être extrêmement réactif, notamment dans le cas de projets de grande ampleur ou avec des extensions. Suite à un tweet de Gunnar Skogsholm, le débat sur une version 64 bits de Visual Studio est relancé : ainsi, l’environnement ne serait plus limité à quatre gigaoctets de mémoire vive, il pourrait exploiter toute la mémoire des machines actuelles, ce qui pourrait aider en performance. D’ailleurs, une série d’environnements de développement y sont déjà passés, comme Eclipse ou Android Studio — ces deux-là ayant la particularité d’être écrits en Java et de dépendre d’une JVM, les efforts de portage en 64 bits sont donc très limités.
Des raisons techniques
Rico Mariani, un ancien développeur de Visual Studio, maintenant passé dans l’équipe de Microsoft Edge (le nouveau navigateur de Microsoft), indique cependant que passer au 64 bits n’apportera pas grand-chose à l’EDI, cela risque même plus probablement de lui causer d’autres problèmes de performance. En effet, du côté technique, ces 64 bits correspondent à la taille d’une adresse en mémoire (ce qui permet d’indexer beaucoup plus de mémoire vive qu’en 32 bits) ; cette transition doublerait donc la taille de tous les pointeurs, ce qui a des impacts sur l’alignement en mémoire des structures de données, sur la densité des données stockées et donc la localité.
De manière générale, le code sera plus lourd, l’application occupera plus de place en mémoire en 64 bits plutôt qu’en 32 bits (dans un facteur qui dépend fortement de l’application considérée). Par conséquent, les caches du processeur seront moins bien utilisés, puisqu’il n’ont pas soudainement augmenté en taille ; les registres disponibles seront certes plus grands et plus nombreux, mais ce facteur n’a de réel impact que sur le code effectuant des traitements lourds (comme du calcul scientifique ou de l’analyse de données) plutôt que des interfaces graphiques. Cette migration en 64 bits ne se justifie donc que s’il est nécessaire d’utiliser plus de mémoire que la partie accessible en 32 bits.
Une autre justification est moins attendue : en 64 bits, une fuite de mémoire ne fera pas planter l’application rapidement, puisqu’elle pourra consommer toute la mémoire de l’ordinateur, le ralentir à l’extrême et le rendre complètement inutilisable. Ce genre de justification est encore plus valable pour un navigateur qui autorise des extensions.
Utiliser plus de mémoire est une erreur de conception, pour Rico Mariani
D’ailleurs, même si cette mémoire supplémentaire était utile, il y a d’autres options pour rester en 32 bits, notamment une représentation plus efficace des données en mémoire. Pour gagner en performance, cette solution est bien évidemment meilleure que d’exploiter plus de mémoire. L’idée est donc de prévoir son code pour que seule une partie de la mémoire requise doive résider en mémoire vive, c’est-à -dire stocker la plupart des données dans un fichier et s’assurer d’en avoir besoin très peu souvent.
En effet, pour qu’une application puisse se mettre à grande échelle, ce genre de techniques est souvent requis. Pour un client, l’approche est très positive : il est possible de faire bien plus avec moins de ressources. Par exemple, en 1989, même avec 640 ko de mémoire vive, il restait possible d’exploiter sans problème de performance une base de données de 24 Mo, simplement en gardant un cache de 12 ko de données intéressantes pour accélérer les opérations de recherche et de lecture. À l’heure d’aujourd’hui, les échelles monteraient plutôt à quelques téraoctets de données au moins à traiter, mais le principe reste d’application. Le conseil de Rico Mariani est de considérer les données comme une base de données relationnelle (SQL), puis de la charger par tranches en mémoire, au lieu d’exploiter des représentations plus naturelles pour un programmeur à base de pointeurs.
Cette migration n’est de toute façon pas encore utile
Ces considérations techniques éloignent le débat des points réellement importants pour une application : être agréable à utiliser. Utiliser telle ou telle technologie n’a aucun impact sur ce critère premier ; en réalité, utiliser aussi peu de technologies différentes est probablement une bonne chose. De même, utiliser plus de mémoire n’a pas d’impact direct sur l’utilisabilité : moins de mémoire pour la même expérience devrait être l’objectif. En d’autres termes, une migration en 64 bits n’a pas de sens pour l’utilisateur de Visual Studio.
De plus, elle coûte en temps de développement, qui pourrait être investi dans d’autres fonctionnalités. Notamment, les formats de fichiers binaires utilisent régulièrement des pointeurs, ce qui empêche une migration aisée entre 32 et 64 bits. Cette même évolution a longtemps été retardée par Firefox par manque de compatibilité avec un grand nombre de dépendances externes en 64 bits : il est difficile de ne pas effectuer une migration complète, c’est-à -dire seulement les quelques parties qui en bénéficieraient.
Depuis 2008, Visual Studio permet la création d’extensions chargées en dehors du processus principal de l’EDI, c’est-à -dire dans un processus séparé, avec un espace mémoire séparé. Ces extensions peuvent être réalisées de diverses manières : par exemple, le cÅ“ur de Visual Studio est assez léger, beaucoup de fonctionnalités sont proposées en extensions (comme les solutions), dont un nombre grandissant est écrit en C#, avec une exécution dans une machine virtuelle. Il est aussi possible de compiler ces extensions en 64 bits si nécessaire… et le fait est que très peu d’extensions le font, parce que ce changement ne leur est pas utile. Par contre, Resharper C++, une extension de JetBrains pour Visual Studio, à l’origine du retour de cette controverse, ne profite pas de cette possibilités et a des difficultés à gérer de grandes quantités de code.
Et Rico Mariani de conclure en disant qu’avoir un système d’exploitation 64 bits est extrêmement utile — ce qui n’est pas le cas de la majorité des applications.
Sources : Revisiting 64-bit-ness in Visual Studio and elsewhere, 64-bit Visual Studio — the « pro 64″ argument, Visual Studio: Why is there no 64 bit version? (yet).