Il y a une quinzaine de mois, Nokia « refilait » le support commercial de Qt à Digia ; certaines rumeurs parlaient déjà d’une revente complète de tout ce qui concerne le framework, il ne s’agissait que du support commercial – à l’époque. Ces rumeurs se révèlent maintenant confirmées : Digia s’apprête à acquérir tout ce qui concerne Qt de Nokia (toutes les activités Qt, dont le développement du produit, les licences open source et commerciales, tout le service commercial). Ceci intervient dans une période relativement sombre pour Nokia (« Nokia coule-t-il à pic ? »), avec parfois des décisions douloureuses et, selon certains, injustifiables (pour se relancer, la société a licencié une grande partie de ses développeurs, selon Mirko Boehm, se basant probablement sur les annonces d’un « affinage stratégique »).
Petit historique, assez bref, du framework Qt, généralement annoncé comme le standard de facto pour des interfaces graphiques portables en C++ (et d’autres langages) : l’histoire commence en 1992, à Oslo, en Norvège, avec le développement d’un outil pour la gestion d’interfaces graphiques, tant pour Windows que X11, n’étant disponible en open source que pour ce dernier. Quatre ans plus tard, le projet KDE débute : un environnement graphique pour Linux entièrement basé sur Qt. Un accord est signé en 1998, entre Trolltech (éditeur de Qt) et la nouvelle KDE Free Qt Foundation, pour s’assurer que, si Trolltech venait à disparaître ou à ne plus publier de version libre de Qt pendant un an, le framework tombe sous une licence très permissive, une BSD. En 2008, Trolltech est racheté par Nokia, ce dernier voulant l’introduire dans ses plateformes mobiles (Qt est très utilisé pour le développement d’applications pour Symbian et MeeGo) ; en 2011, revirement total de situation : un accord est signé entre Nokia et Microsoft pour relancer les parts de marché du premier sur le monde des smartphones et pour montrer que le second y existe toujours. Peu après, les licences commerciales Qt sont déchargées à Digia ; la même année, le framework commence une migration vers l’open governance. Non, Nokia ne veut pas se séparer de Qt, ne revend pas Qt, ne cède pas Qt, juste les licences commerciales. Début de cette année 2012, l’open governance est bien là , avec le Qt Project, les révisions de code et autres joyeusetés qui montrent que le projet s’ouvre réellement, qu’une société ne peut pas tout diriger. On s’attendait à voir plus de choses bouger, avec les difficultés de Nokia : en juillet, voyant les habituels Developer Days toujours pas annoncés, la communauté reprend cette partie en charge. En août, Nokia n’a plus grand-chose à voir avec Qt. Cependant, l’accord avec la KDE Free Qt Foundation tient toujours – « au cas où ».
Ces années avec Nokia n’ont pas été les pires du framework, loin de là : en 2009, le framework est aussi publié sous LGPL, une licence beaucoup plus permissive (certains diront « plus libre ») que la GPL, ce qui porte à trois le nombre de licences possibles pour l’utilisation du framework. Il faut aussi noter l’apparition de Qt Quick, révolutionnaire en bien des sens pour le framework : l’accent est mis sur des interfaces plus dynamiques. Le framework s’est répandu sur des millions de périphériques mobiles, comme le 808 PureView (sous Symbian, avec un capteur de… quarante et un mégapixels !) ou le N9 (l’un des rares, si ce n’est le seul smartphone sous MeeGo).
Cependant, avec l’accord avec Microsoft, Qt n’était plus très utile à Nokia, la plateforme Windows Phone étant très orientée vers .Net et le code managé (absolument incompatible avec Qt). Il fallait cependant sécuriser la plateforme (et les revenus ?), tant en tant que projet open source qu’en tant que communauté. C’est ainsi que Digia a été choisi, récupérant par là la technologie Qt, le copyright, les équipes Qt de chez Nokia (au maximum cent vingt-cinq personnes). Déjà très active dans la communauté Qt, Digia ne peut qu’en profiter pour grandir dans l’écosystème Qt, devenant incontournable mais semblant vouloir que tout continue comme avant (ou en mieux) : la distribution tant en open source qu’en commercial leur semble un très bon point, pour couvrir un maximum de besoins des clients, dans toute leur diversité (en ce compris KDE).
Digia a déjà pris les devants dès la passation des licences commerciales effectuée (et même avant), avec notamment le support de systèmes d’exploitation en temps réel bien amélioré (comme QNX avec Qt 4.8.1, mais aussi INTEGRITY ou VxWorks) – réalisation du vÅ“u « code once, deploy everywhere », même sans interface graphique. Dès l’acquisition finalisée, Digia prendra les rênes opérationnelles du Qt Project, dont l’hébergement. D’ailleurs, le premier test n’est pas si loin : Qt 5 ne devrait plus trop tarder, une nouvelle version prévue très majeure pour le framework, avec notamment l’arrivée de la modularisation et Qt Quick 2, sans oublier le support des plus conventionnels widgets en C++. Un axe envisagé d’exploration est le support d’autres plateformes mobiles, dont Android et iOS.
Sources
Investment in Qt planned to continue @ Digia
Digia extends Its commitment to Qt with plans to acquire full Qt software technology and business From Nokia
Digia to acquire Qt from Nokia